Financière First National SEC

Le point de vue de Stephen Smith

  • Financière First National SEC

Stephen Smith, l’un des plus importants entrepreneurs en services financiers au Canada, est le président du conseil d’administration, le chef de la direction ainsi que le cofondateur de Financière First National. Nous avons demandé à Stephen de nous livrer ses pensées sur les changements apportés récemment à la réglementation et de nous expliquer comment First National s’y adapte.

Partagez-vous les préoccupations exprimées par les responsables des politiques publiques en ce qui concerne le marché canadien de l’habitation?

Absolument. Ici, à Toronto, nous traversons une bulle immobilière à mon avis. La situation est grave. L’habitation est au cœur de notre identité et de notre existence. Chacun d’entre nous a le désir inné d’être propriétaire de son logement et d’avoir un endroit où élever sa famille. Donc, quand l’accession à la propriété devient inabordable, c’est un enjeu sociétal. Toutefois, c’est tout un défi de trouver des moyens qui produiront l’effet désiré. Par exemple, l’Ontario impose depuis récemment une taxe aux acheteurs étrangers. Cependant, ce ne sont pas juste les acheteurs étrangers qui font gonfler la demande. Des acheteurs locaux contribuent également à la situation.

Le problème est donc une demande trop élevée?

C’est une partie du problème. Lorsque la demande atteint de tels niveaux, il commence à y avoir de la spéculation dans le marché, ce qui contribue à aggraver la situation. C’est comparable à ce qui se produit dans le cas d’une bulle dans le marché boursier. Mais nous avons également un problème d’offre à Toronto. Les politiques municipales et provinciales en matière d’aménagement du territoire ont eu pour effet d’accroître les prix des logements en limitant l’offre. C’est très long pour les constructeurs d’ajouter à l’offre dans le marché compte tenu des restrictions en place et de l’opposition de la population à des mesures comme la densification. Les gens croient en les bienfaits de la densification, mais ils n’en veulent pas dans leur cour.

Les décideurs politiques ont-ils eu une réaction exagérée à la situation à Toronto, ce qui pénaliserait d’autres collectivités?

Possiblement, et il pourrait s’avérer nécessaire de considérer Toronto comme une ville internationale au même titre que Londres, Paris ou Tokyo, où les gens n’accordent pas d’importance à l’idée d’être propriétaires d’une maison unifamiliale. Dans ces villes, les gens achètent un appartement ou un grand condo. Cette façon de penser n’est pas la norme ici et c’est peut-être quelque chose qui devra changer.

Qu’en est-il des mesures de contrôle des loyers imposées par le gouvernement de l’Ontario?

À mon avis, le contrôle des loyers est une erreur, car de telles mesures ne contribuent aucunement à accroître l’offre d’unités de logement dans le marché. Cependant, nous savions que ça s’en venait après que les médias eurent rapporté que certains locateurs augmentaient leurs loyers de 100 pour cent. Lorsque les politiciens ont vent de telles situations, c’est très difficile pour eux de résister à la tentation d’intervenir.

Le ministère fédéral des Finances a aussi apporté des changements l’automne dernier pour ralentir le marché. Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement fédéral?

Nous soutenons que le gouvernement a un rôle à jouer pour assurer la stabilité du marché de l’habitation, mais certains changements apportés ont pour effet de réduire la concurrence et de favoriser les principales banques canadiennes. Nous ne pensons pas qu’une baisse de la concurrence soit à l’avantage des consommateurs. Rappelons-nous que les grandes banques ont déjà obtenu la désignation D-SIB (Domestic Systematically Important Bank ou banque domestique systématiquement importante) et fonctionnent dans une structure oligopolistique. Ça fait en sorte qu’il y a peu de contrepoids dans le marché sous la forme d’options compétitives. Des sociétés comme First National offrent ce choix et c’est un choix auquel le gouvernement ne devrait pas nuire.

Votre avantage concurrentiel a certainement pris du galon après le lancement des titres hypothécaires émis en vertu de la Loi nationale sur l’habitation (TH LNH).

C’est vrai. Lorsque la loi a été adoptée en 1987, elle a ouvert la voie à des régimes de retraite, des fonds communs de placement, des compagnies d’assurance-vie et des institutions autres que les grandes banques pour investir dans les hypothèques. Certains des changements mis en œuvre l’automne dernier ont inversé 30 ans d’histoire visant à réduire l’exposition du gouvernement aux risques du marché de l’habitation. Ce n’est pas une saine politique publique. Le gouvernement est considérablement exposé au risque par le biais de l’assurance-dépôts de la SADC, mais il ne semble pas s’en préoccuper outre-mesure. C’est un peu un mystère pour moi. Le gouvernement accorde une grande importance à une forme de risque, mais peu à l’autre.

Invoquez-vous ces questions lorsque vous rencontrez des décideurs politiques?

J’essaie de parler au nom de tous les Canadiens en affirmant que la concurrence a ses avantages et qu’il devrait y exister une dynamique concurrentielle. Simplement dit, les consommateurs devraient avoir des choix.

Existe-t-il un comparable historique de ce que vous observez actuellement par rapport à l’escalade des prix immobiliers?

Oui, ça me fait penser à 1988-1989. Ça fait 30 ans depuis que nous avons traversé une bulle, mais ce marché s’est effondré pratiquement du jour au lendemain, car la psychologie des consommateurs a évolué.

Comment First National se protège-t-elle contre un possible éclatement de la bulle immobilière?

D’abord, nous assurons la plupart de nos produits ou les vendons à des institutions de sorte à ne pas assumer directement les risques liés à des modifications importantes du marché. De plus, nous avons atténué les risques en resserrant nos normes de souscription qui sont en place depuis maintenant cinq ou six ans. La qualité des prêts hypothécaires qu’émet First National est aujourd’hui aussi bonne qu’elle l’était lorsque Moray et moi avons fondé l’entreprise. Un autre important facteur d’atténuation du risque dans notre domaine est notre refus de prêter pour l’achat de propriétés situées au cœur de Toronto ou de Vancouver, où l’escalade des prix a été marquée et les prêts hypothécaires individuels peuvent atteindre des montants dépassant le million de dollars. En fait, la valeur moyenne d’un prêt hypothécaire souscrit pour une maison unifamiliale en 2016 s’établit à tout juste un peu moins de 300 000 $. First National consent des prêts hypothécaires pour financer des propriétés situées dans les banlieues des grandes villes canadiennes, là où un effondrement de l’immobilier est moins probable.

Malgré cela, croyez-vous que First National devrait changer de cap à la lumière des récentes modifications apportées à la réglementation?

Changer de cap n’est pas la bonne expression. Je dirais plutôt que nous avons dû nous rajuster et je pense que nous avons réussi. Bien sûr, des difficultés demeurent et elles deviendront plus évidentes au cours du deuxième trimestre de 2017. Il est probable que nous émettions moins de prêts hypothécaires pour financer des propriétés unifamiliales pendant le reste de l’année si on compare à l’an dernier. Par conséquent, la concurrence dans un marché en déclin s’intensifiera. Nous sommes également un important émetteur d’OHC et de TH LNH. Ce sont d’ailleurs nos produits les plus profitables. Nous sommes limités par un plafond sur le nombre d’ONC et de TH LNH que nous pouvons émettre et nous prévoyons atteindre notre limite cette année comme ce fut le cas l’an dernier. Pour cette raison, nous devrions être en mesure de maintenir nos marges.

Quoi d’autre est important en ce moment d’une perspective stratégique?

La qualité du service. First National a un avantage que d’autres institutions n’ont pas, car nous n’émettons que des prêts hypothécaires. Ça fait partie de notre ADN. Grâce à notre spécialisation, nous réussissons à résoudre les problèmes de nos clients et à prendre des décisions de crédit plus rapidement. Dans l’actuelle conjoncture, en fait dans n’importe quel marché, la qualité du service à la clientèle prévaut et c’est notre objectif principal.

Envisagez-vous des changements à votre modèle d’entreprise?

Absolument pas. Notre modèle en place est efficace. Son efficacité a été démontrée au fil de plusieurs cycles économiques et je maintiens que notre modèle demeurera efficace à l’approche de cette nouvelle phase du cycle.

Autre chose à ajouter?

En contemplant l’avenir, je n’ai aucun doute que First National demeurera la plus importante société canadienne non bancaire à émettre et à souscrire des prêts hypothécaires pendant et après cette période d’ajustement du marché. Notre plan d’entreprise pour 2017 consiste à gérer les défis auxquels nous faisons face dans le marché unifamilial, à renouveler les prêts hypothécaires de nos clients existants et à faire croître notre division commerciale. Pendant que nous poursuivons ces objectifs, nous savons que, avec près de 100 milliards de dollars en prêts hypothécaires administrés, nous pouvons compter sur de solides bases en matière de revenus constants et de flux de trésorerie.