En bref :
- Le vendredi 16 mai, les États-Unis ont perdu leur dernière cote de crédit AAA.
- La cote AAA du Canada semble assurée, la dette nette du pays représentant 14 % de son PIB contre environ 102 % pour les États-Unis. À Ottawa, les frais d’intérêt absorbent 9 % des recettes contre environ le double au sud de la frontière, et les importants actifs des régimes de retraite permettent aux agences d’être à l’aise de laisser le pays dans la zone AAA.
- La redirection de 2 % des réserves mondiales en titres du Trésor vers des obligations à cinq ans du gouvernement du Canada pourrait comprimer le rendement de 5 à 10 points de base, ce qui ferait baisser les taux hypothécaires fixes 5 ans.
Le vendredi 16 mai, Moody’s a abaissé la note de la dette des États-Unis à Aa1, mettant ainsi fin à un siècle de classement dans la tranche supérieure. Deux semaines plus tôt, S&P avait maintenu la cote AAA du Canada. Depuis cet abaissement de la note, les rendements des obligations à cinq ans du gouvernement du Canada et du Trésor américain ont augmenté d’environ 10 à 15 points de base, les investisseurs absorbant l’alourdissement des calendriers d’émission et le creusement des déficits budgétaires de part et d’autre de la frontière. Cette baisse d’un seul cran pousse de nombreux investisseurs, dont ceux assujettis à des mandats d’investissement en titres AAA, ce qui comprend les directions des réserves des banques centrales, les assureurs et les régimes de retraite à prestations déterminées, vers les obligations du gouvernement du Canada. Étant donné que les prêts hypothécaires à taux fixe 5 ans sont fixés en fonction du rendement des obligations à 5 ans du gouvernement du Canada, toute demande supplémentaire réduit les coûts de financement et, par conséquent, les taux hypothécaires pour les emprunteurs.
Quelle est la répercussion directe des notations des obligations sur les taux des prêts hypothécaires?
Le rendement des obligations à 5 ans du gouvernement du Canada sert de référence aux prêts hypothécaires fixes 5 ans. Les banques ajoutent une marge prévisible à ce rendement pour tenir compte du risque de crédit et de la marge bénéficiaire, puis affichent le taux offert à la clientèle. De nombreuses directions de réserves, assureurs et fonds de retraite du monde entier ne doivent détenir que les titres les plus sûrs, à commencer par les titres AAA, dont le nombre se réduit comme peau de chagrin. Cette liste ne compte plus que la dette souveraine de onze États – l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, le Canada, l’Australie, Singapour, la Norvège, la Suède, le Danemark, le Luxembourg et le Liechtenstein – après que les États-Unis ont perdu son classement de premier rang. Même si à peine quelques mandats prévoient le désinvestissement dans les titres du Trésor américain à la cote rétrogradée vers les obligations du gouvernement du Canada, la pression supplémentaire sur la demande fait grimper les prix et diminuer le rendement de référence.
Pourquoi la dette nette est-elle un facteur favorable pour le Canada, alors que c’est tout le contraire pour les États-Unis?
La dette brute de l’administration publique canadienne représente 107 % du PIB, mais après déduction des avoirs détenus par le Régime de pensions du Canada, le Régime de rentes du Québec et d’autres fonds publics, la charge nette n’est que d’environ 13 %. Les analystes de notation – en particulier ceux de Standard & Poor’s – font reposer leur note sur ce chiffre net, ce qui explique pourquoi Ottawa est toujours classé AAA alors que Washington ne l’est pas.
Le contraste avec nos voisins du sud est frappant. La dette nette américaine dépasse déjà 100 % du PIB, les dépenses d’intérêt vont représenter 23 % des recettes fédérales d’ici le milieu des années 2030, sans compter que les querelles répétées sur le recul du plafond de la dette ont montré que le Congrès n’arrive pas à se mettre d’accord sur une trajectoire d’assainissement des finances publiques. Moody a cité ces mêmes points – des déficits primaires loin de se résorber, une facture d’intérêts en hausse et la paralysie des institutions – lorsqu’elle a abaissé la note des États-Unis à Aa1 la semaine dernière. L’agence a prévu que le taux d’endettement atteindrait environ 134 % d’ici 2035.
D’autres dettes souveraines notées AAA montrent pourquoi une position créditrice nette est décisive. Le fonds souverain de la Norvège vient de dépasser les vingt mille milliards de couronnes, soit près de quatre fois le PIB du pays, ce qui place le secteur public en position créditrice nette, même si le ratio brut de la dette se situe à 55 %. Singapour émet des obligations représentant environ 170 % de son PIB, mais chaque dollar est compensé par les actifs du Central Provident Fund et de deux fonds de réserve, de sorte que le gouvernement n’affiche aucune dette nette. Le Trésor australien prévoit une dette brute d’environ 36 % du PIB et une dette nette légèrement supérieure à 30 %, des niveaux que les agences considèrent comme faciles à couvrir.
Comme les investisseurs comprennent le fonctionnement de ces mesures de protection, ils considèrent les dettes souveraines notées AAA comme des substituts proches. Tant qu’Ottawa maintient son ratio net autour des mêmes valeurs, le pays reste dans la catégorie des rares actifs sûrs. Tous les capitaux qui trouvent refuge ailleurs, dans d’autres titres AAA, plutôt que dans des titres de la dette américaine à la note nouvellement abaissée pourraient être absorbés lors d’adjudications d’obligations du gouvernement du Canada, ce qui ferait baisser le rendement à 5 ans. Les banques financent les prêts hypothécaires à taux fixe à partir de cette référence, de sorte que le financement de gros à taux moins élevé se répercute, certes dans une moindre mesure, sur les taux hypothécaires des ménages. Si les budgets futurs font que la dette nette du Canada ou le ratio des intérêts par rapport aux recettes augmente, l’avantage de la notation s’érodera, les flux de capitaux risquent de s’inverser, de même que la pression sur la courbe des prêts hypothécaires.
Les capitaux vont-ils se déplacer des titres du Trésor américain vers les obligations du gouvernement du Canada et réduire les taux d’intérêt hypothécaires?
Après l’abaissement de la note de la dette des États-Unis par Standard & Poor’s en 2011, les investisseurs se sont quand même tournés vers les titres du Trésor américain et le rendement à 10 ans des obligations a chuté d’environ 50 points de base en quelques semaines. La liquidité l’emporte parfois sur les notations. En 2025, le contexte est différent. Aucune des trois grandes agences n’accorde désormais une note AAA aux États-Unis et leurs perspectives budgétaires sont moins reluisantes. Les directions des réserves qui doivent détenir des actifs liquides AAA doivent désormais se tourner vers une liste restreinte qui comprend l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, le Danemark et le Canada. La minceur de la liste pourrait pousser une partie de cette demande vers les adjudications d’obligations du gouvernement du Canada, ce qui réduirait leur rendement par rapport à ceux des bons du Trésor.
Les recherches de la Banque du Canada sur son programme d’achat d’obligations pendant la pandémie montrent qu’un choc dans la demande touchant 10 à 15 % de l’encours des obligations du gouvernement avait fait baisser le rendement sur cinq ans d’environ 50 points de base au plus fort de la crise. Le flux lié à une baisse d’un cran de la note des États-Unis étant plus faible, les stratèges du marché s’attendent à une baisse de 5 à 10 points de base du rendement des obligations à 5 ans du gouvernement du Canada par rapport aux obligations du Trésor correspondantes.
Quelles seront les incidences sur les emprunteurs?
Pour l’instant, le Canada maintient sa note AAA, ce qui lui laisse une chance de capter une partie des capitaux qui se détournent des titres du Trésor américain qui viennent d’être déclassés, ce qui fait baisser un peu plus les rendements des obligations du gouvernement du Canada et, par conséquent, les taux hypothécaires fixes 5 ans. Le véritable risque à surveiller demeure au pays : si les déficits, les emprunts provinciaux ou le loyer de l’argent augmentent suffisamment pour ébranler la cible budgétaire, tout abaissement subséquent de la note pourrait annuler rapidement cet avantage.